Sunburn

(Texte, photographie argentique noir et blanc)

Le bitume fond quand la chaleur se fait insupportable. Je peux le voir quand le sol se met à onduler au loin. Le bitume ça sent quand ça crame. Des fois on a les pieds qui collent, on a peur de rester bloqués, alors faut marcher vite, sinon on s’en sort jamais. Tout le monde marche l’été mais personne ne sait où il va. L’autre jour, on m’a assuré que c’était la canicule du siècle, comme chaque année d’ailleurs. Et comme chaque année, on a l’impression d’étouffer un peu plus, que la ville se rétrécit et que nos corps s’écrasent sur le sol. À force de s’écraser on va finir par disparaitre.

Mon trajet quotidien pour aller m’échouer sur les galets de la plage a changé depuis que le tabac où j’achetais mes clopes a fermé pour l’été. Je suis resté devant en pensant être arrivé trop tôt, au bout de 30 min j’ai compris qu’il n’ouvrirait pas. Mes clopes je les achète le matin, quand l’air est encore frais. La chaleur ça me passe l’envie d’aller en acheter quand j’en ai plus. Je préfère y aller le matin, il y a moins de monde, mais surtout je retrouve toujours les vieux du coin. Eux aussi ils préfèrent le matin ; à midi on les retrouverait desséchés. Ils viennent faire un brin de causette, et nous les gamins on peut pas refuser. On pense à nos vieux quand on leur parle, on se dit que ça fait longtemps qu’on les a pas appelés. Alors à la place on parle à ceux qui ont des petits enfants aussi ingrats que nous. C’est pas le tabac qui va me manquer, mes clopes je les trouverai ailleurs.

Des fois quand je reste trop longtemps allongé sur les galets, j’ai l’impression de fondre et de devenir le ciment liant les pierres d’une douche à l’italienne. Ma bouche c’est l’évacuation.

Certains vivent pour l’été, d’autres survivent. Parce qu’on se fait chier l’été, et si d’autres disent le contraire c’est que leur été est trop court. Le notre est interminable, on sait même plus quoi en faire, on aimerait en donner à ceux qui voudraient du rab. À force de trop en avoir eu, on sait plus quoi en faire. Les parents ils nous disent d’en profiter, et nous on pense le faire. Et puis l’été suivant on se dit qu’on l’a pas assez fait.

Ce que j’aime faire l’été c’est marcher sur la jetée avec mes écouteurs, sans musique. Personne me fait chier et j’écoute les gens parler, ça m’amuse toujours. Une fois j’ai entendu un truc que j’aurai aimé ne jamais avoir entendu. Un vieux racontait sa vie en remontant sa ligne vide. Rien au bout, pas même une algue. Il racontait qu’il avait du se débarrasser d’une portée de chat, t’aurais vu le nombre que ça faisait il a dit. Je suis pas un grand fan de chat, mais savoir que ce gars avait dû en broyer 2-3 dans un sac pour étouffer les bruits ça m’a fait réfléchir. Depuis je marche plus sur la jetée, je me contente de la regarder de loin, musique dans les oreilles.

Les habitués on les reconnaît à leur peau. Leur capital soleil épuisé, ils ont la peau caramélisée, criante de peur de se déchirer. Ils se tartinent de crème indice 50 pour compenser le fait de l’avoir oubliée avant. On les reconnait aussi parce qu’on leur dit bonjour. Comme quand un joueur de foot salue la pelouse avant de rentrer sur le terrain, on salue les anciens avant de fouler les galets. Faut voir quand on oublie de leur dire bonjour, ils ruminent ça toute la journée et quand on part ils nous gueulent au revoir. Le lendemain on oubliera pas de dire bonjour, de sourire. Comme on oubliera pas d’appeler nos anciens.