Un vendredi sur deux

Le père commande des frites, des frites pour le gamin, avec du ketchup pour la sauce. Il dit ketchup en regardant la serveuse, en lui glissant que le gamin il est pas fan des sauces blanches, fin, m’voyez. Il tente un clin d’œil le père, et le gamin il voit tout parce que le gamin est en âge de dire que lui la mayo il aime pas ça mais son père tient à dire qu’il le connait son fils, à dire que pour son gamin c’est le ketchup, jamais la mayo. La serveuse esquisse un sourire de gêne mais ça empêche pas les gros bras du père de rouler des mécaniques parce que le Buffalo-Grill tous les vendredis c’est un peu devenu chez lui et chaque vendredi il roule ses bras comme ça, il les écarte de son buste et les rabat doucement en contractant et la serveuse elle dit et pour vous alors qu’est ce que vous prendrez alors que la serveuse elle sait parce que tous les vendredis après avoir roulé de ses gros bras le père il commande le steak tartare, bien cru bien froid ça le rapproche de la bête qu’il s’apprête à manger. C’est comme ça qu’il parle de lui une fois que la serveuse tourne le dos, une fois qu’il s’est bien rincé l’œil sur elle. Il dit ton père, il dit ça au gamin, il dit ton père c’est une bête alors comme toutes les bêtes il faut qu’il mange d’autres espèces, comme cette jolie biche, celle qui lui a demandé pour son tartare, celle à qui la bête qu’est ton père a répondu saignant sourire aux lèvres mais ça la serveuse elle sait, parce que tous les vendredis elle le sert son steak tartare saignant. Le père il dit à son fils que comme toutes les bêtes, il chasse, et la chasse c’est surtout épuiser la proie à l’usure, comme la pêche, que le poisson une fois qu’il a mordu il faut lui laisser du mou, le laisser nager et lutter et nager et lutter et nager et lutter et une fois que le poisson il est fatigué, là, il est prêt à être pêché, à être sorti de l’eau. Pour les femmes c’est pareil mon fils. Le fils lui il a les yeux sur le set de table, il préfère lire le menu que d’écouter son père débiter ses conneries une à une mais il sait aussi qu’il a pas vraiment le choix d’être ici, qu’un vendredi sur deux c’est Buffalo-Grill, que s’il sait choisir sa sauce tout seul il lui doit encore au moins ça au père, de faire acte de présence les vendredis soirs. Des fois, avant le Buffalo-Grill, il y a le bowling. Le fils il aime pas vraiment ces vendredis mais il sent que pour son père le jour bowling c’est un grand jour. Bowling-Buffalo-Grill. C’est vers la zone indus’, parce que tous les bowlings sont en zone indus. Le bowling il est juste à côté du Buffalo-Grill et les vendredis bowling le père il fait la même blague au fils. En sortant du bowling il tourne la tête et il regarde son fils surpris en disant t’as vu ce que je vois là ? T’as vu ce beau Buffalo-Grill ? Ça te dirait un bon steak frite avec du ketchup ? Et le fils à chaque fois il accepte, il hoche la tête sourire forcé, parce que le fils il se dit que c’est qu’un soir dans la semaine, qu’un vendredi sur deux. Mais il se dit surtout qu’au début il trouvait ça cool, les vendredis Bowling-Buffalo-Grill, qu’au début, quand il a commencé à voir son père un week-end sur 2, ça claquait au collège le lundi de dire qu’avec son père il avait fait un Bowling-Buffalo-Grill. Fallait voir la tête des autres quand le fils il leur disait, tous jaloux mais tous disaient que c’était pas dingue, surtout de faire un truc avec son père, surtout avec le sien, celui du fils. Les autres ils ont la vanne facile, alors dès le début ils ont préféré tailler plutôt que d’avouer qu’ils en mourraient d’envie. Au bout de dix vendredi Bowling-Buffalo-Grill le fils il en a eu assez, mais le fils il l’a jamais dit parce que le fils il a compris qu’aux yeux du père c’est son cadeau, que le père il peut pas faire plus, que pour lui c’est ça un bon vendredi avec son fils, son seul et unique fils. 

La serveuse revient avec le tartare et le burger, bouteille de ketchup vissé à la ceinture. Elle pose le plat du gamin et le gamin sourit mais le gamin gêné plante son regard dans son plat. Le fromage dégouline sur le steak coincé entre les deux pains. Elle pose le ketchup à côté de son verre et se tourne vers le père, tartare en main. Le père lui dit en rigolant qu’il espère qu’il est pas trop cuit, il rigole, pas trop cuit le tartare alors elle lui dit non non comme un tartare et elle sourit à son tour parce que son métier l’y oblige, parce que sa manageuse le dernier vendredi Bowling-Buffalo-Grill a vu qu’elle avait pas souri à une autre blague du père, une blague sur des tomates et un cœur, son cœur de boeuf, tendre au fond. Elle a pas rigolé et la manageuse l’avait vu parce que la manageuse c’est son métier de voir, et le métier de la serveuse c’est de servir, et servir inclus aussi de sourire, et surtout rigoler, toujours rigoler aux blagues des clients. Certains manquent pas de lui faire remarquer, le père aussi l’a déjà fait une ou deux fois, lui dire qu’en supplément il aurait bien aimé un sourire. Les clients ils veulent toujours des suppléments, de la gratuité. Ils viennent à Buffalo-Grill parce que la salade d’entrée sauce blanche elle est gratuite, et quand c’est gratuit les clients ils ont l’impression de faire des économies. Savent pas qu’à 16 euros le menu burger le moins cher ils se font voler les clients, mais ça personne le sait, pas même la serveuse parce qu’elle elle rapporte 1500 euros les mauvais soirs, et elle sur les 1500 euros d’une soirée elle en prend 100. Des fois ça lui traverse l’esprit que comme les clients, quelque part elle aussi elle se fait un peu voler alors le meilleur moyen pour renverser la balance c’est de sourire comme sa manageuse lui a dit, parce que les pourboires viennent plus facilement avec le sourire et les rires forcés, comme celui qu’elle force à la blague du père, non non pas trop cuit ce tartare ne vous inquiétez pas. Le père il sent que ça connecte, qu’il se passe quelque chose avec la serveuse aujourd’hui, plus que les autres vendredis Bowling-Buffalo-Grill. Il se dit même qu’il aurait dû venir sans son gamin, qu’il aurait dû le laisser chez sa mère et venir ici seul parce que le père il est un peu gêné de faire ça devant son fils, même s’il faut bien qu’il apprenne le gamin, qu’il voit de ses propres yeux comment ça marche avec les femmes. Alors il enchaine, lui dit il y a du monde ce soir et la serveuse elle dit oui oui pas mal. Je vous vois courir lui dit le père, je vous vois courir partout, ça doit être pour ça que vous gardez la ligne. La serveuse se penche et pose le tartare sur la table. Elle sourit, de gêne, mais ça le père il le voit pas parce que le père il a senti que ce soir il s’passait quelque chose avec la serveuse. Elle dit merci c’est gentil et il dit pas de quoi, qu’il faut dire les choses quand on les pense et en disant ça il essaye d’imaginer ce que la serveuse elle pense de lui, de lui mais surtout de ses gros bras qu’il écarte de nouveau et rabat doucement le long de son buste, juste histoire que ça aide la serveuse à savoir ce qu’elle pense de lui. Le gamin a déjà la bouche pleine, il a déjà tapé la moitié de son burger en 2 bouchées parce que le gamin il est suffisamment grand pour en manger deux des burgers. Bouche pleine il mâche en regardant son père rabattre ses bras le long de son buste et la serveuse gênée dire bon appétit avant de partir. Le père se tourne vers son fils et lui demande s’il est bon le burger, alors il est bon ton burger ? La cuisson comment ? Le père il demande comment la cuisson alors que le steak ça pourrait être de la semelle que le gamin s’en foutrait pas mal, que le gamin ça l’empêcherait pas d’en manger deux de ces burgers semelle fromage ficelle. Il fait un pouce le gamin, pouce en l’air parce que le burger entier il l’a dans la gorge et ça galère à descendre l’œsophage alors il attrape le coca et il descend le verre d’un coup. Le gamin il expédie ça en vitesse, veut pas trainer le gamin. À l’école ça a dit que son père il savait faire que ça de toute façon, ouvrir sa gueule pour rien et faire rouler ses muscles. Ça imitait le père dans la cours de récréation parce que le père il hésitait pas à faire rouler ses muscles un peu partout, mais surtout aux réunions parents-profs, parce que la prof de français pareil que la serveuse il y a une fois où il a senti une connexion le père, alors le père il roulait il roulait et il bombait le torse pour lui montrer à Mme.Deschamps de quel bois il se chauffait. Ça a fuité, parce que le père du gamin il avait voulu lui montrer à Mme.Deschamps, et le père du gamin il l’avait appelé Mademoiselle tout le long alors que sur sa porte c’était bien écrit Madame. C’est pour ça que le gamin il expédie le burger, qu’il dit non quand le père lui demande s’il veut un dessert, s’il a eu assez, s’il en veut encore. Le père il est sacrément fier de voir son fils avec un tel appétit, voir son fils s’enfiler un burger sans se soucier de comment la sauce dégouline le long de son menton. Fier le père de voir que ça lui fait plaisir au gamin, parce qu’on mange pas comme ça quand on a pas autant de plaisir. C’est comme toute chose, sans plaisir ça vaut pas vraiment le coup. Un bon vivant le père, c’est ce qu’il dit à son fils qui s’essuie la gueule, t’es comme ton père toi, un bon vivant, on aime les bonnes choses toi et moi. Le gamin se sert un verre d’eau pour envoyer le tout dans l’estomac, regarde son père et acquiesce, toi et moi, se dit qu’il a jamais été aussi proche de son père que dans ces mots, dans cette formule tout juste sorti de la bouche de son père. Parce que le père il a qu’un vendredi sur deux pour se rapprocher de son fils, alors des fois il faut mettre les bouchées doubles, passer vite sur le bilan des deux semaines précédentes pour aller directement à l’essentiel, à savoir ce qu’il se passe entre les deux, à savoir que le père organise des vendredis Bowling-Buffalo-Grill. Le père il dit souvent qu’il pourrait l’emmener le gamin, qu’il pourrait l’emmener où il veut, genre à la piscine ou ces conneries mais le gamin il cause pas trop, sait pas trop ce dont il a envie. Un vendredi sur deux faut que ce soit grandiose, t’vois, faut que ça brille dans les yeux du gamin, que même s’il a pas faim pour un dessert faut lui en prendre un, qu’il le mange ou non mais au moins il pourra pas rentrer et dire à sa mère que son père c’est un radin, un de ces connards de radins qui économisent sur le dos de leurs gosses qu’ils voient une fois toutes les deux semaines. Alors le père il cherche l’attention de la serveuse qui passe en courant dans l’allée en disant chaud chaud attention, monsieur, madame, en servant la table d’à côté. C’est sur le chemin du retour que le père finit par l’avoir, l’attention de la serveuse. Elle demande s’ils ont fini, si elle peut débarrasser, s’ils veulent un dessert pour finir sur une note sucrée. Ça c’est la manageuse qui lui a mis dans la bouche, la note sucrée, elle trouvait que ça faisait plus proche du client, moins distant, que les clients ils aiment bien qu’on les dorlote, qu’on leur parle comme à des gosses. Le gamin d’un coup s’dit que finalement ça pourrait l’intéresser, une petite note sucrée, qu’un chocolat qui fond avec une boule de vanille ça pourrait lisser le tout. Le père il dit oui oui faisons ça avant de demander la carte des desserts comme s’il ne la connaissait pas par cœur. Alors la serveuse elle revient avec en disant que le dessert du jour c’est le fondant au chocolat. Le dessert du jour c’est le même dessert que tous les jours, pas trop chiant à faire le fondant. En cuisine ça le sort du congélo et ça l’enfile au four pour 8 minutes et comme les clients attendent 10 minutes avant d’être servi doivent se dire qu’il est fait maison le fondant. Le gamin il dit qu’il veut, il dit moi je veux bien un fondant alors que le gamin il a les dents du fond qui baignent, sait même pas s’il lui reste de la place et surtout s’il a envie de prolonger le moment, assis sur cette banquette rouge en face de son père. Le père il hoche il dit qu’un fondant c’est bien, oui c’est bien, que son fils il est gourmand, un peu comme son père, enfin m’voyez. Elle dit oui oui je vois, et pour vous ? Le père il sent qu’il l’a contrarié la serveuse, que jusqu’à là ça s’est bien passé alors il tente de rattraper le coup en disant que le chocolat, oui le chocolat dans la famille c’est quelque chose et la serveuse elle dit oui oui et pour vous ? Il comprend pas le père, s’dit que la serveuse elle a dû prendre une chasse par sa manageuse parce qu’elle passait trop de temps avec lui, à discuter et minauder. Le père il cherche pas vraiment à comprendre mais le fils il commence à transpirer à grosses gouttes parce qu’il sent que le sourire de la serveuse commence à avoir des spasmes, et le gamin il sait que les spasmes c’est toujours quand on force sur un muscle, quand c’est pas naturel. Elle le garde son sourire. Elle le tient pendant que le père lui il dit à la serveuse qu’il en a pour deux minutes, le temps de regarder la carte. Sauf que pour la serveuse deux minutes c’est le temps alloué à débarrasser une table, que regarder le père du gamin choisir son dessert ça lui en faisait perdre pas mal, du temps. Elle reste. Crayon en main carnet dans l’autre elle reste là prête à écrire parce qu’elle sent qu’à la fin du repas son sourire sera récompensé, parce qu’elle le connait le père, parce que c’est pas la première fois qu’elle s’occupe de lui. S’occuper des clients c’est aussi la manageuse qui aime ce terme, elle dit souvent aux serveuses quand vous êtes débordées suffit juste de dire on arrive on arrive on s’occupe de vous, et tout de suite ça leur donne 5 minutes de répit en plus. Faut juste que les clients ils se sentent accompagnés, qu’on leur mette même la cuillère dans la bouche si ça déclenche le pourboire. Quand la serveuse est arrivée dans ce Buffalo’, les pourboires étaient encore individuels, chacune sa table et ses sourires. Mais un jour dans un point réu’ orga’ la manageuse elle a annoncé que c’était collectif, que les pourboires ça récompensait l’ensemble de l’équipe de service, nous comme une équipe elle a dit, c’est notre force. Depuis, à la fin de chaque service la serveuse elle dépose ses pourboires dans une caisse et à la fin du mois c’est divisé pour l’équipe, et dans l’équipe service la manageuse s’est inclue, elle a dit je suis comme vous, on ne fait qu’un. Le père il lève les yeux de la carte et dit que finalement il prendra un fondant, comme son fils, une boule vanille oui, comme son fils aussi oui, oui tel père tel fils exactement et il regarde son fils en disant t’entends mon fils, marrant ça, tout pareil. La serveuse sourit avant de tourner les talons en disant très bon choix très bon choix, qu’il faudra attendre 10 minutes pour la cuisson. En entendant son père répondre à la serveuse qu’ils sont pas pressés de toute façon, le gamin plante les yeux dans le set de table parce que lui il aimerait que ça se termine tout ça, que s’il fallait le fondant il pourrait le bouffer à peine sortie du congélo si ça pouvait accélérer les choses, si ça pouvait l’amener directement à l’étape où son père reçoit l’addition en disant en rigolant qu’il doit y avoir un zéro en trop. Il dit souvent ça en rigolant mais fait toujours en sorte que son fils voit les chiffres, que son fils voit que son père n’est pas un radin. Au bowling comme au Buffalo-Grill le père il est soucieux de voir son gamin sourire aux lèvres dire merci en sortant, parce que le père il a loupé pas mal de chose dans l’éducation du gamin mais la politesse, ça, il le devait pas qu’à sa mère. 

Les 10 minutes d’attente c’est long pour tout le monde mais surtout pour le fils, parce que lui comme son père ont plus rien à faire de leurs mains et surtout de leurs bouches alors le gamin sait que c’est le moment préféré du père pour parler à son fils. Il dit et alors avec les filles comment ? Ça roule ? Le gamin il hausse les épaules, comme ci comme ça, ça va ça vient mais ça va plus que ça vient parce qu’à l’école ça arrête pas de vanner sur sa gueule au gamin, ça dit de son père que c’est un gars simple. Le gamin a mis du temps à comprendre que simple c’est pas un compliment, qu’on dit des choses qu’elles sont simples mais quand on dit de quelqu’un qu’il est simple, c’est pas la même chanson. Ça vanne tellement sur la gueule de son père que le gamin a arrêté d’en parler, que le gamin il dit qu’il voit plus son père, fini les vendredis Bowling-Buffalo-Grill. C’est pour ça que quand la serveuse arrive, que son père la regarde se pencher pour déposer le fondant devant le gamin, il peut pas s’empêcher de se jeter dessus et de le finir à grand coups de cuillères. La serveuse étonnée lâche un rire et le père il rebondit, peut pas s’empêcher de lui demander si elle en a un comme ça à la maison, si elle en voudrait pas un à la maison parce que ces bêtes là vaut mieux les avoir en photo qu’à table. Elle sourit, répond j’imagine j’imagine et le père ça lui suffit pour comprendre que si elle imagine c’est qu’elle est libre, que la serveuse elle a que son imagination pour imaginer sinon elle aurait dit je connais je connais j’ai les mêmes chez moi figurez-vous. S’redit même que sans le gosse il aurait pu lui proposer à la serveuse, lui demander ce qu’elle fait après ou une connerie dans le genre parce que lui il fait rien, lui une fois qu’il a posé son gamin chez sa mère il y a plus rien qui le retient, plus rien qui l’empêche de laisser traîner son regard sur la serveuse quand elle pose son fondant devant lui. Ça la parcourt de haut en bas, de bas en haut. Un frisson dans la colonne de la serveuse qui sent le regard du père se poser un peu trop près d’elle. Elle dit bon appétit et s’en va, quitte à écourter l’interaction elle préfère aller débarrasser une autre table que de supporter le père, tout ça pour une pièce de 2 euros que sa manageuse coupera en 8 sous ses yeux à la fin du mois. Pas folle la serveuse, connait ses limites et là elle sent que le père il veut les atteindre. La dernière fois qu’un client a cherché à les atteindre la serveuse elle a fini avec une main au cul. Une grosse main de vieux poilu au cul qu’a dit qu’il avait pas fait exprès oui il promettait pas fait exprès j’ai trébuché. Et sa femme qui disait oui oui ça lui arrive de trébucher, des fois c’est sur des meubles des fois sur des femmes, qu’il fallait pas lui en vouloir au vieux parce que vous verrez quand vous aurez notre âge, qu’à notre âge on trébuche beaucoup mais la serveuse elle sait que les vieux poilu dans son genre ils attendent pas d’être vieux pour trébucher, ou alors qu’ils sont vieux dès la naissance. Le père se dit que ça se tente, la main en bas, mais qu’encore une fois sans son fils ça ferait déjà un moment que le nom et le numéro de la serveuse seraient déjà dans sa poche, bien au chaud près des couilles. S’dit que foutu pour foutu quand elle reviendra la serveuse il lui en touchera deux mots, de se voir une fois le service fini, une fois le gosse déposé chez sa mère. Elle elle doit pas être au courant, ni le fils, alors faut qu’il la joue subtil le père, au moment de payer ou une connerie dans le genre faudra être créatif pour lui glisser à la serveuse. Le gamin tasse le tout en gobant la boule de glace encore congelée, s’dit que si elle fond dans son ventre le froid rétrécira la taille de ce qu’il a mangé, ça lancera la digestion. Il regarde son père le regard vers l’accueil manger son fondant avant de lui dire de se magner, il le dit pas comme ça mais il aimerait lui dire de bouger son cul à son père que lui il a pas envie de trainer ici, pas avec lui. Le père en tournant la tête lui demande alors bon ce fondant ? Oui ? Tu m’étonnes. Il demande au gamin s’il connait les bienfaits du chocolat, son côté aphrodisiaque. Le gamin fait non de la tête connait pas aphro-quoi ? Aphrodisiaque, ça veut dire que ça éveille des choses en toi, enfin tu vois non ? Non non voit toujours pas le gamin parce que même si il est suffisamment grand pour s’enfiler deux burgers sait toujours pas ce genre de truc le gamin, vierge comme Marie le gamin. Le père finit son assiette en raclant à la cuillère et essaye de lui expliquer à son fils, tu vois c’est un peu comme l’alcool, ça tu vois non ? Oui ça il voit, l’alcool et surtout le vin aux fêtes de famille, juste une petite goutte, il voit ça le gamin. Alors le père il dit bah tu vois quand t’as bu et qu’il y a des femmes, ça fait tourner la tête non ? Oui oui le gamin dit la tête oui la tête parce que le gamin se souvient quand il a bu au point de vomir sa bile dans un champ à côté. Non non le père il dit, pas l’alcool, les femmes ça fait tourner la tête t’vois. Non non voit toujours pas le gamin et la serveuse revient. Elle demande s’ils ont fini les deux, le père fait oui oui, oui oui on a fini et j’essayais de lui expliquer ce que veut dire le mot aphrodisiaque, vous sauriez-pas l’expliquer vous par hasard ? Le gamin regarde la serveuse ramasser l’assiette du père et dire qu’elle ne sait pas, elle dit je saurais pas l’expliquer à votre fils moi, vous voudrez des cafés ? Le gamin reste en suspens, se demande ce que aphro-truc ça veut dire alors il interroge son père du regard, dis-moi ça veut dire quoi le mot là ? La serveuse sent le moment arriver, elle sent que les muscles du père se tendent, qu’il commence à bomber le torse et quand il ouvre la bouche c’est d’abord ses yeux qui parlent, et ses yeux disent qu’il veut lui montrer à la serveuse ce que ça veut dire aphro-truc. Aphrodisiaque. Ça tend le père tout ce chocolat, s’dit même que c’est maintenant ou jamais que là il a une chance qu’il y en aura pas deux qu’il faut la saisir. Il se penche vers le gamin et met sa main à côté de sa bouche, du mauvais côté, juste histoire que la serveuse comprenne qu’elle doit aussi entendre. Il glisse à son fils qu’aphrodisiaque c’est l’effet que fait le chocolat ou les fraises ou la serveuse qui attrape l’assiette du fils et qui entend le père qui dit la serveuse oui tu vois gamin la serveuse comme le chocolat c’est des choses qui font réfléchir les hommes, enfin t’vois. Le gamin il voit pas mais il comprend en voyant le rouge monter aux joues de la serveuse qu’aphrodisiaque ça doit être un de ces trucs qui se passent entre eux, entre les adultes. Parce qu’à l’école les fois où ses amis ont vraiment les joues rouges c’est quand ils se prennent une chasse par les professeurs ou quand ils s’embrassent, les lèvres rouges ça donne souvent les joues rouges. Le gamin s’dit que ça doit être ça, qu’aphrodisiaque ça appartient aux adultes, mais surtout à l’amour. Il regarde la serveuse faire un pas en arrière. Elle ouvre la bouche mais ne dit rien, marque la pause. La serveuse veut lui dire au père, elle veut lui dire qu’elle a entendu et lui dire qu’il y a des choses qui se font et d’autres pas mais elle sent sa manageuse passer au même moment derrière elle alors elle ravale les insultes et redemande au père s’il y aura des cafés. Elle doit le dire sèchement parce que la manageuse s’arrête, la manageuse se penche à son tour la main sur l’épaule de la serveuse et elle demande si tout va bien, si on s’occupe bien de vous ? La serveuse s’agite en répondant que oui elle fait au mieux mais la manageuse sert un peu plus sa main sur son épaule, lui signifie que la question ne lui était pas adressée. Le père et le gamin hoche la tête tout sourire oui oui c’est parfait alors la manageuse dit bien bien parfait à son tour avant de s’en aller. Le gamin voit les joues de la serveuse écarlate et le gamin il comprend pas, s’dit que la manageuse doit lui faire de l’effet, ou qu’elle vient de se prendre une chasse, ou les deux. Le père sourit, non non pas de café, juste l’addition et un sourire qu’il dit le père. Un sourire à un euro. Pas cher payé le sourire. Un sourire à un euro qui sera ensuite divisé par 8 par la manageuse à la fin du mois. Un euro un sourire. Ça bouillonne dans le crâne de la serveuse, s’dit que les limites le père il les a franchies depuis longtemps, que s’agirait pas trop de jouer avec elle parce que s’il continue c’est son sourire, le sien au père, qu’il va finir par perdre. Elle imagine déjà son sourire sans dent à force de lui les faire manger. Elle en rêve et elle en rêve tellement que la main du père doit passer devant ses yeux et sa voix dire eh oh vous allez bien pour qu’elle revienne à elle et répondre oui oui l’addition je m’en occupe tout de suite. Il la voit tourner les talons et ni une ni deux il se tourne vers le gamin, lui demande s’il a vu ça, s’il a senti la tension chez elle, chez la serveuse. Le gamin fait non, non non, demande à son père si c’est ça aphrodi-truc ? Le père dit oui, oui oui c’est ça, que la serveuse elle a pas eu besoin de manger du chocolat pour être excitée. 

Le gamin commence à tourner en rond sur sa banquette. Ça fait long et plus c’est long plus il y a de chances qu’il croise un gars du collège et ça il veut pas non il veut pas parce que tout le monde croit que son père n’existe pas, ou plus. Parce qu’à l’école quand il a arrêté d’en parler les gens se sont interrogés et il a fini par dire qu’il était parti acheter des clopes et qu’il était jamais revenu, parce qu’il trouvait l’image assez drôle et surtout parce qu’il l’avait entendu dans une discussion de plus grands. Le problème c’est que le père il fume pas et surtout qu’il est toujours là, juste devant lui à s’impatienter sur sa banquette. Il attend son retour, celui de la serveuse. À force d’attendre il perd patience, chope la main du fils et le traine, lui dit attrape ton manteau on file on va payer à l’entrée. Le gamin ça lui tire le bras parce que le gamin il pèse quand même son poids, surtout après le burger le fondant et le coca. Il rechigne pas le gamin, c’est tout ce qu’il attendait. En arrivant au comptoir le père cherche la serveuse du regard mais c’est la manageuse qui encaisse. Il n’y a qu’elle qui touche l’argent, sauf les pourboires, enfin même ça elle y touche maintenant. Elle demande si tout s’est bien passé, d’accord très bien, vous cherchez la serveuse vous me dites ? Le père enchaine oui, oui oui la serveuse qui nous a servi, qu’il aimerait bien lui donner un pourboire alors elle dit qu’il a qu’à lui laisser, qu’elle transmettra. Il lâche pas le père et le gamin commence à s’impatienter parce qu’il y a beaucoup de monde qui rentre, qu’à l’entrée tout le monde se croise et qu’aux pieds des cheveux blancs il y aussi des gamins de son âge alors il dit papa depêche-toi dépêche-toi. Le père ignore, dit à la manageuse que quand même il aimerait la revoir la serveuse. Non monsieur, ça fera 34,50 euros s’il vous plait. Le gamin redit depêche-toi dépêche-toi papa et il lui en faut pas plus au père pour s’énerver, gueuler qu’il comprend pas, que le client est roi et qu’aux dernières nouvelles s’il elle lui demande 34 euros c’est bien qu’il est client non ? Je paye donc j’ai le droit qu’il dit. La manageuse elle se laisse pas faire elle dit non monsieur non monsieur calmez-vous, vous payez pour un service culinaire monsieur, non monsieur vous ne la reverrez pas, oui monsieur il faut payer, vous voulez un reçu ? Au revoir monsieur, oui au revoir monsieur. Le gamin se fait trainer par son père de nouveau qui s’est mis en tête de jeter un petit coup d’oeil aux salles pour voir s’il y croisait la serveuse et en se faisant chasser par la mana’, le gamin redit dépêche-toi dépêche-toi papa et ça fuse d’un coup. Le gamin a juste le temps de voir son voisin de français rentrer dans le Buffalo-Grill que la main du père lui voile déjà la face, que la main du père s’imprime sur sa joue déjà rouge de la gêne des jours qui suivront au collège.